ANDRÉ CAMPRA (1660-1744)
C’est en 1660, à Aix-en-Provence, que débute l’étonnante histoire d’André Campra, celle d’un des nombreux musiciens des provinces françaises qui firent carrière à Paris et Versailles.
Ce fils de chirurgien italien entre très jeune à la Maîtrise de la Cathédrale Saint-Sauveur d’Aix, et reçoit les leçons de Guillaume Poitevin, qui l’affermissent au point de devenir le Maître de Chapelle de Sainte-Trophime d’Arles à vingt-et-un ans, dès 1681. En 1683 il est nommé à Toulouse, mais c’est à Notre-Dame de Paris qu’arrive la véritable reconnaissance : il est nommé Maître de sa musique en 1694 (à trente-quatre ans pour un poste si prestigieux !). Cette carrière de musicien d’église, qu’il poursuivra à partir de 1722 comme l’un des quatre Maîtres de Musique de la Chapelle du Roi, nous livre de splendides compositions, messes, petits et grands motets, où la tradition française, la marque impérieuse du plain-chant gallican, le style monumental et dramatique de Lalande, viennent se colorer d’accents du sud, notamment de virtuosités italiennes. Un célèbre Requiem aux inspirations magnifiques en est le plus parfait représentant.
Afficher plusMais en son temps Campra fut surtout un réformateur du style lyrique. Car l’oiseau de cathédrale cache une passion pour l’opéra. Trois ans à peine après sa nomination à Notre-Dame, il donne avec un extraordinaire succès L’Europe galante : 1697 est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire lyrique française, car c’est le premier opéra-ballet à tenir le haut de l’affiche. Dix ans après la disparition de Lully, personne n’a vraiment su s’imposer après lui, ni renouveler le genre de la tragédie lyrique. Et voici Campra proposant une forme on ne peut plus française : du chant mêlé de ballet, en plusieurs actes se succédant sans histoire commune, plutôt une suite de divertissements brillants donc, mâtinée de traits musicaux italiens, d’autant plus facilement qu’on y voyage en plusieurs pays… Dans la même veine suivront Le Carnaval de Venise (1699), et Les Fêtes vénitiennes (1710), qui font de l’opéra-ballet un style épanoui, grand prétexte au beau chant et à des danses sur les thèmes ultramontains qu’adore le public.
Mais tant de musique profane, tant de succès à l’opéra sont-ils compatibles avec le respect d’une charge sacrée de premier plan ? Le verdict tombe de lui-même : Campra doit quitter Notre-Dame en 1700, année où triomphe sa tragédie lyrique Hésione, avant que Tancrède ne devienne l’un des chefs-d’œuvre de l’opéra français en 1702. Certes inscrite dans la tradition lullyste, la tragédie lyrique à la manière de Campra se pare d’une orchestration plus riche, d’audaces modernes et italiennes, d’exotismes qui donneront à plusieurs de ses œuvres la chance d’être reprises de nombreuses fois du vivant du compositeur.
Devenu chef d’orchestre de l’Académie Royale de Musique, le compositeur est fort recherché, protégé du Régent, et au premier rang de ceux qui comptent au début du règne de Louis XV, qu’il illustrera par de nombreuses cantates et un dernier opéra, Achille et Déidamie (1735). Cette gloire « profane » en parallèle de sa seconde carrière « sacrée » à la Chapelle Royale et chez les Jésuites ne surprend plus, célébrité aidant, et fait même sans doute la valeur de Campra aux yeux des commanditaires religieux… Il disparaît néanmoins en 1744 à Versailles dans un grand dénuement, ayant laissé nombre d’œuvres admirables, qui ont souvent les couleurs ensoleillées de sa Provence natale.