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Georg Friedrich Haendel

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GEORG FRIEDRICH HAENDEL (1685-1759)

 

Georg Friedrich Haendel personnifie l’apogée du baroque aux côtés de Bach, Vivaldi et Rameau, et l’on peut considérer que l’ère de la musique baroque européenne prend fin avec l’achèvement de l’œuvre d’Haendel. Né et formé en Saxe, installé d’abord à Hambourg avant un séjour initiatique de trois ans en Italie, revenu brièvement à Hanovre avant de s’établir en Angleterre en 1710, il réalisa dans son œuvre une synthèse magistrale des traditions musicales de l’Allemagne, de l’Italie, de la France et de l’Angleterre.

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Né dans une famille bourgeoise luthérienne, Haendel ne vient pas d’une tradition musicale : son père Georg est une personnalité importante de Halle, bourgeois aisé et austère qui parvient à se faire nommer médecin officiel des Electeurs de Brandebourg. Haendel montre très tôt de remarquables dispositions pour la musique, mais son père s’y oppose et veut faire de son fils un juriste, en lui interdisant de toucher un instrument. Entêté, le garçon parvient à dissimuler un clavicorde au grenier pour en jouer en secret.

 

Lors d’une visite au duc de Saxe-Weissenfels, le jeune Georg Friedrich l’éblouit en jouant l’orgue de la chapelle ducale, et le duc conseille au père de ne plus s’opposer au talent de son fils. Haendel reçoit alors l’enseignement de l’organiste Zachow, scellant sa carrière en apprenant orgue, clavecin, violon, hautbois, harmonie, contrepoint… De l’âge de onze ans datent ses premières compositions, l’année suivante il est remarqué par la Cour de Brandebourg à Berlin, puis en 1702 nommé organiste de la cathédrale calviniste de Halle. Mais dès 1703 il part s’installer à Hambourg, attiré par les splendeurs de l’Oper am Gansemarkt, le premier opéra privé d’Allemagne, dirigé par Reinhardt Keiser. Employé comme violoniste puis claveciniste, il se lie d’amitié avec Johann Mattheson, avec lequel il découvre la grande cité hanséatique et ses réseaux internationaux. Mais rapidement une concurrence apparaît, quand Haendel fait jouer son premier opéra, Almira, en 1705, qui est un grand succès. La même année, Nero ne s’impose pas, mais Haendel se sent pousser des ailes : il quitte Hambourg pour Florence sur l’incitation du futur grand-duc de Toscane. Il arrive ainsi à l’automne 1706 en Italie pour un séjour de trois ans, décisif pour son avenir.

 

L’Italie est un eldorado des arts et de la musique en particulier. Dès son arrivée à Florence, Haendel s’attèle à une commande d’opéra de Ferdinand de Médicis : Rodrigo est créé en novembre 1707. Mais Haendel est déjà à Rome, arrivé dès janvier et sitôt remarqué lors d’un concert d’orgue à Saint-Jean-de-Latran. Très vite on s’arrache ses talents, les cardinaux Pamphili, Ottoboni et Colonna lui passant des commandes, tandis qu’il est l’hôte privilégié du prince Francesco Maria Ruspoli, qui l’accueille aussi dans sa résidence campagnarde de Vignanello. Il intègre le cénacle artistique de l’Académie d’Arcadie aux côtés de Corelli, Scarlatti, Caldara, Steffani… Une joute amicale au clavier l’oppose à Domenico Scarlatti, et son premier oratorio voit le jour en mai : Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, qui est un véritable triomphe, accompagné de ceux du Dixit Dominus, puis de La Resurezzione représentée en 1708 dans le Palais Ruspoli avec un effectif orchestral considérable sous la direction de Corelli. Haendel compose aussi plus de cent-cinquante cantates profanes pour toutes ces fêtes privées romaines, où le génie de ce luthérien est adulé au cœur même du catholicisme…

 

Puis c’est à Naples qu’il est accueilli avec chaleur, y créant la sérénade Aci, Galatea e Polifemo en 1708, avant de filer à Venise ou il crée en décembre 1709 Agrippina, son premier aboutissement à l’opéra, qui connaît un énorme succès avec vingt-sept représentations. En trois années à peine, l’organiste saxon pétri des traditions d’Allemagne du Nord et à peine ouvert au monde par ses œuvres hambourgeoises, a su digérer le style moderne italien et s’en faire un langage d’un naturel confondant : les langueurs et violences des mélodies italiennes, leurs couleurs charnues, leurs rythmes endiablés, trouvent dans la structuration rigoureuse et efficace de Haendel une expression magnifique, qui fait l’admiration des italiens mêmes ! Haendel fêtait ses vingt-cinq ans avec un succès considérable, et l’appui de nombreuses personnalités : l’Electeur de Hanovre notamment, dont il devient Maître de Chapelle dès son retour en Allemagne en 1710. Mais ce poste, obtenu grâce à la recommandation de Steffani, n’est pour Haendel qu’un marchepied : à peine arrivé, il part en « congés » pour Londres, la capitale la plus peuplée d’Europe.

 

Devancé par sa réputation italienne, il est reçu avec enthousiasme, présenté à la famille royale et spécifiquement à la reine Anne, et au monde musical londonien. Sa rencontre avec l’impresario Aaron Hill donne quelques mois plus tard naissance à Rinaldo, le premier opéra italien composé spécifiquement pour une scène londonienne : le succès fulgurant de ses quinze représentations au printemps 1711 assure à Haendel la conquête de Londres. De retour à Hanovre, il ne rêve plus que de repartir vers la Tamise… et obtient un nouveau congé en 1712, qui ne le verra jamais revenir.

 

Londres accueille Haendel dans les foyers de plusieurs mécènes qui lui permettent de composer dans les meilleures conditions. Teseo en 1713 lui redonne sa place de premier plan, et dès juillet c’est lui qui fait exécuter le Te Deum et le Jubilate pour la paix d’Utrecht à la Cathédrale Saint-Paul, devenant ainsi quasiment un compositeur officiel de la Cour d’Angleterre. La mort de la reine Anne voit arriver sur le trône son cousin, l’Electeur de Hanovre, délaissé par Haendel… mais qui ne lui en tient pas rigueur. Après Amadigi en 1715, Haendel œuvre surtout à conforter sa place. Il compose en juillet 1717 pour une navigation nocturne du roi Georges Ier sur la Tamise sa fameuse Water Music, puis se met au service du duc de Chandos et produit de nombreuses œuvres religieuses, ses premiers concerti grossi londoniens, surtout le masque Acis and Galatea et son oratorio Esther, tout ceci en anglais.

 

C’est en 1719 qu’Haendel prend un virage majeur de sa carrière en créant la Royal Academy of Music, maison d’opéra italien financée par souscription, dont il devient le directeur musical, et qui va durant une décennie faire les beaux jours lyriques de Londres. Attirant à Londres les meilleurs chanteurs (italiens) du continent, notamment le castrat Senesino, Haendel ouvre sa première saison en 1720, année de son Radamisto, puis vient Floridante, mais aussi le succès remporté par plusieurs opéras de Bononcini, devenu rival de facto. Réagissant avec Ottone puis Flavio en 1722, Haendel reprend la main, grâce notamment à l’arrivée de la diva Francesca Cuzzoni, mais celle du compositeur Ariosti le met à nouveau en péril… Sa réaction est à la hauteur de l’enjeu avec trois chefs-d’œuvre : Giulio Cesare et Tamerlano en 1724, puis Rodelinda en 1725. Scipione puis Alessandro les suivent en 1726, puis en 1727 Admeto et Riccardo Primo, enfin en 1728 Siroe et Tolomeo. Malgré l’indéniable qualité des œuvres, les rivalités entre divas et compositeurs deviennent si ingérables que la Royal Academy of Music disparaît en 1728. Le caractère particulièrement difficile d’Haendel n’y est sans doute pas étranger : aussi autoritaire que rigoureux, aussi obstiné qu’âpre et cinglant, il obtient des exécutions de haut niveau, mais se fâche beaucoup avec ses interprètes, eux-mêmes très capricieux et susceptibles ! Les auditeurs reconnaissent à Haendel un génie musical qui ôte tout ennui à ses œuvres, contrairement à beaucoup de celles de ses concurrents…

 

Haendel qui vient d’être fait citoyen anglais, est chargé de la musique pour le couronnement du nouveau roi, Georges II, en 1727 : la splendeur de cette cérémonie retentit encore jusqu’à nos jours dans les fameux Coronation Anthems, antiennes du couronnement d’une somptueuse écriture chorale, alliant monumentalité et majesté comme jamais auparavant. Zadok the Priest est en effet toujours joué depuis lors pour les sacres de la couronne britannique.

 

Dès 1730, après un voyage sur le continent pour engager de nouveaux chanteurs, Haendel inaugure sa seconde Academy, et l’opéra repart de plus belle, inauguré par Lotario, puis viennent Partenope, enfin Poro qui est le premier succès, en 1732 Ezio, et Sosarme qui fait salle comble. Mais un genre « nouveau » fait son apparition : Haendel reprend son oratorio Esther, qui est un grand succès, puis sa pastorale Aci, Galatea e Polifemo ; ces œuvres de jeunesse lui redonnent du souffle et ouvrent une voie vers sa « seconde carrière ». Suivent dans cette veine Deborah puis Athalia, tandis que Orlando (un véritable opera seria italien, mais peuplé de scènes magiques) est le chef-d’œuvre de 1733. Hélas les nuages s’amoncellent : l’Opéra de la Noblesse voit le jour en véritable rival de Haendel, avec Nicolo Porpora à sa tête, obligeant Haendel à de véritables contorsions, et c’est ainsi que se crée la troisième version de son Academy, bientôt installée à Covent Garden. Après le succès mitigé de Arianna in Creta puis de Il Parnasso in Festa, vient celui d’Ariodante en 1734, suivi de Alcina en 1735 qui est un triomphe. En 1737 Arminio et Giustino contiennent des pages magnifiques, et en 1738 Faramondo est brillantissime, Serse un chef-d’œuvre. Mais la situation est si tendue dans la concurrence autour de l’opéra italien que Haendel joue de plus en plus sa carte oratorio : l’ode Alexander’s Feast, en 1736, chantée en anglais par des chanteurs anglais, remporte un incroyable succès ! Suivent le chef-d’œuvre Saül, puis Israël en Egypte, qui éclipsent le dernier opéra italien de Haendel : Deidamia, qui marque la fin de l’Academy en 1741, et celui de l’opéra italien à Londres, le concurrent Opéra de la Noblesse ayant lui aussi disparu…

 

L’oratorio haendélien convient parfaitement au public britannique. Sur des sujets bibliques, et chanté en anglais, il sait alterner de magnifiques symphonies, des chœurs admirables et des arias et duos dans lesquels Haendel sait faire miroiter son talent. S’appuyant sur des valeurs morales fortes, sur sa vaillance musicale et un sentiment patriotique affirmé, il sait faire vibrer la fibre britannique, fidèle à la dynastie Hanovre contre les Stuarts, mais au-delà promouvant un style « national » perdu depuis Purcell… Il trouve le chemin des cœurs anglais (succès qui ne s’est pas démenti depuis trois siècles) tout en étant interprété dans un théâtre, sans nécessité de décors ni de machinerie, et sans avoir à recourir aux divas ni aux castrats, coûteux et facétieux. Deux décennies d’œuvres mythiques, pour lesquelles Haendel est clairement sans rival, constituent un corpus d’exception : dès 1742 Le Messie impose un équilibre idéal entre action, grande fresque chorale, piété et emphase. De grandes œuvres dramatiques comme Samson (1743), Belshazzar (1745), Judas Maccabeus (1747) emportent le public dans une veine quasi lyrique, suivis par Joshua (1748), le colossal Solomon (1749), le très dramatique Théodora (1750), enfin Jephta, ultime chef-d’œuvre de 1752. Dans une veine antiquisante, Semele (1743), Hercules (1744), ou plus arcadienne comme l’Allegro, il penseroso ed il moderato (ode pastorale, 1740), Haendel impose un discours qui appelle facilement la mise en scène, sans en être l’objet à l’époque.

 

La dernière partie de la vie d’Haendel, après la fin des aventures de l’opéra italien, se cristallise sur les valeurs musicales fortes de ses oratorios qui connurent la faveur du public, mais également sur une reconnaissance officielle grandissante. La commande par le roi de la Music for Royal Fireworks, célébrant en 1749 la paix d’Aix-la-Chapelle, est un succès public et politique retentissant. Travailleur acharné, toujours à la direction musicale de ses œuvres tout en ne cessant de composer, Haendel est l’objet de plusieurs attaques cérébrales qui attirent sur lui la compassion du public, puis perd la vue en 1753, ce qui l’empêche de composer. Les reprises de ses œuvres rassemblent un nombre considérable de public, et sa dernière apparition lors d’un concert du Messie début avril 1759 lui laisse sentir l’affection du public. Décédé le Samedi Saint 14 avril 1759, a soixante-quatorze ans et a l’issue de cinquante-six années de carrière, c’est une foule de trois-mille personnes qui l’accompagne pour ses funérailles à l’Abbaye de Westminster, où sa tombe est celle d’un Anglais dont s’honore la nation.

 

Véritable nature d’ours, doté d’un appétit gargantuesque et d’un caractère impétueux, Haendel a un exceptionnel talent pour produire rapidement, et quasi d’un seul jet, une musique qui cherche tour à tour l’effet ou la séduction, et atteint magnifiquement ces deux buts. Loin des recherches théoriques de Bach, ses compositions sont à consommer et admirer de suite, et le peu de pièces de clavecin ou de musique de chambre qu’il publie cherchent la variété et le divertissement, mais n’aspirent pas à une perfection. Ses concertos, à l’inverse de ceux de Corelli (le modèle de l’époque), ne sont pas à l’origine conçus comme des œuvres autonomes, mais créés pragmatiquement pour les ouvertures et les entractes de ses opéras, comme les six concerti grossi de l’opus 3 (1734) et les douze de l’opus 6 (1739), et ces seize concerti pour orgue, permettant au compositeur de briller en solo… Les deux publications de Suites pour le clavecin (1720 puis 1733), les Sonates en trio et celles pour flûte, sont emplies de pépites destinées à réjouir l’amateur.

 

L’apparente simplicité de certaines de ces œuvres recèle en vérité les véritables « sucs » haendéliens : la richesse de l’harmonie et l’intense poésie se mêlent à un lyrisme chaleureux et souvent à la finesse d’une trame polyphonique, dans une écriture rythmée dont le sens du drame est inné. Haendel aime dépeindre en musique, et il illustre merveilleusement les affects baroques en les sublimant.

 

Les œuvres de Haendel, principalement ses oratorios Le Messie et Israël en Égypte, ne cessent d’être jouées durant trois siècles, et sont au cœur de la pratique chorale britannique. La redécouverte de sa quarantaine d’opéras italiens au XXe siècle donne un portrait plus complet de cet ogre musical, qui toucha à tous les styles, faisant une éblouissante synthèse des beautés sensuelles de l’Italie, des structures contrapuntiques héritées de sa formation allemande, du style français dont les ouvertures « lullistes » ornent tous ses oratorios, enfin de l’acquis britannique transmis par le style de Purcell. Un véritable européen qui réussit à créer un style national anglais, et dont le langage nous paraît universel.

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